
Un bébé qui se prend pour Dieu, ne parle pas, ne bouge pas, et médite sur le vide en observant des carpes dans un jardin japonais ?
Sur le papier, rien ne prédestinait La Métaphysique des tubes d’Amélie Nothomb à séduire un lectorat adolescent. Et pourtant.
Avec son humour noir, son absurde maîtrisé et son format bref, ce roman peut tout à fait trouver sa place entre les mains d’un·e élève de troisième.
Voici cinq bonnes raisons de le lire — ou de le faire lire — à l’adolescence, cet âge où l’on commence à douter, à observer, et à remettre en question l’ordre établi.
1. Un roman philosophique dès 14 ans
La Métaphysique des tubes, publiée en 2000 chez Albin Michel, est une autobiographie romancée. Amélie Nothomb y raconte ses trois premières années, passées au Japon, dans une langue acérée, drôle et parfois dérangeante.
C’est l’histoire d’une enfant qui ne marche pas, ne parle pas, ne réagit pas, et que ses parents, belges, appellent avec tendresse « la Plante ».
Ils avaient déjà deux enfants qui appartenaient à la race humaine : ils ne trouvaient pas inacceptable d’avoir, en surplus, de la progéniture végétale.
Avec 160 pages et des chapitres courts, c’est une lecture rapide. Mais sous son apparente légèreté, le texte interroge : Qui suis-je ? Que signifie exister ? Comment devient-on soi-même ?
Jusqu’au moment où quelque chose bascule.
2. Une écriture qui détonne
Très vite, le ton est donné :
J’étais un tube.
Je voulais mourir. Non pour souffrir, mais pour ne plus être.
Peut-on écrire cela à propos d’un bébé de deux ans ? Entendre ces mots dans la bouche d’un enfant surprend. Ils peuvent pourtant faire écho à ce que vivent certain·es adolescent·es : un sentiment de vide, l’impression de ne pas avoir de prise sur le monde, ou de ne pas être à leur place.
La manière d’aborder les relations familiales est aussi crue qu’ironique :
Les parents ignorèrent cette injonction. Ils avaient déjà deux enfants qui appartenaient à la race humaine : ils ne trouvaient pas inacceptable d’avoir, en surplus, de la progéniture végétale.
Même la question du genre n’est pas épargnée. Lorsqu’elle découvre que le mois de mai, au Japon, célèbre les garçons avec des carpes flottantes, la narratrice se révolte :
« Alors qu’à la féminité, on ne dédiait pas même un fanion, pas même un jour ! »
« Je n’étais plus sûre d’aimer le mois de mai. »
Ce style tranchant, cette façon de regarder le monde sans indulgence, peuvent faire écho à une forme de révolte adolescente. Celle qui surgit en pleine crise, ou plus discrètement, quand on commence à remettre en question ce qu’on croyait établi — la famille, les rôles, ou sa propre légitimité.


3. Une naissance par le plaisir
Le déclic vient par le goût. Un bâton de chocolat blanc tendu par la grand-mère belge déclenche une révélation :
Ce fut un choc. Un déferlement d’extase. Mon premier plaisir. Je venais de naître.
Cette scène, à la fois absurde et poétique, dit bien plus que ce qu’elle semble montrer. C’est par une sensation que l’enfant devient sujet. Le plaisir est ce qui donne naissance au “je”.
Le roman le dit avec une ironie mordante :
Il existe depuis très longtemps une immense secte d’imbéciles qui opposent sensualité et intelligence. […] Le plaisir éveille l’esprit et le pousse tant à la virtuosité qu’à la profondeur.
Les sens. Le goût. L’émotion. Voilà ce qui, chez Nothomb, donne accès à la conscience.
C’est inattendu, et pourtant essentiel, dans un roman que l’on peut confier à des adolescent·es.
4. Un regard sur le monde
Avant le chocolat, avant la parole, la narratrice regarde. Elle voit, comprend, mais ne participe pas.
Ce n’était pas tant son mutisme qui inquiétait ses parents que son immobilité. Les autres bébés faisaient leurs premiers quelque chose. Dieu, lui, ne cessait d’effectuer son premier rien du tout.
Ce décalage — être conscient sans agir, observer sans intervenir — parlera à de nombreux adolescent·es. Ce moment où l’on regarde les adultes avec une lucidité désabusée, parfois moqueuse.
À l’âge de deux ans, j’étais sortie de ma torpeur pour découvrir que la vie était une vallée de larmes où l’on mangeait des carottes bouillies avec du jambon.


5. Un humour noir, cruel et réjouissant
On pourrait croire à un roman grave. Mais La Métaphysique des tubes est d’abord un texte plein d’humour — noir, absurde, souvent cruel. Et c’est ce qui plaît.
Les parents du tube étaient de nationalité belge. Par conséquent, Dieu était belge, ce qui expliquait pas mal de désastres depuis l’aube des temps.
Cet humour permet d’aborder la mort, l’ennui, la solitude, sans s’effondrer. Et de rire de la logique des adultes, de la religion, des injonctions éducatives.
Ces bouches en forme de bouées qui bouffaient ma bouffe avant de me bouffer moi !
Le roman évoque aussi le Japon de l’enfance : un jardin, des carpes, des gouvernantes, des silences. Un monde étrange et familier à la fois, très visuel, très sensoriel. Une étrangeté qui intrigue et qui, chez les adolescent·es, peut faire mouche.
Prolonger la lecture en classe, en club ou en médiathèque
Envie d’aller plus loin avec vos élèves ou vos lecteur·rices ?
Voici quelques pistes pour prolonger la lecture de La Métaphysique des tubes : en atelier, en club lecture ou au CDI.
⇨En classe ou en atelier d’écriture
→ Écriture sensible : Ma naissance à moi, à partir d’un goût, d’un son, d’un souvenir.
→ Question introspective : Qu’est-ce qui t’a donné un jour le sentiment d’exister ?
→ Écriture en musique : un souvenir marquant, inspiré de la bande sonore du film .
⇨ En club lecture ado
→ Comparer avec L’Enfant de Jules Vallès, Poil de carotte, Journal d’un corps de Pennac.
→ Débat : Peut-on penser des choses graves à 2 ans ? Et à 14 ?
→ Jeu de post-it : une phrase que le personnage pourrait penser sur son corps.
→ Créer un nuage de mots à partir des émotions ressenties.
→ Question collective : Vous est-il déjà arrivé de vous observer de l’extérieur ?
⇨ En bibliothèque ou en CDI
→ À proposer à celles et ceux qui n’aiment pas les récits trop sages.
→ Mur de phrases ou carnet collectif : Ce que ce livre m’a fait penser.
⇨ Pour aller plus loin
– Lire aussi Biographie de la faim, autre récit d’enfance sans filtre.
– Voir The Truman Show (Peter Weir, 1998), dès 14 ans.

Fiche pratique
Titre : La Métaphysique des tubes
Autrice : Amélie Nothomb
Éditeur : Albin Michel, 2000
Public conseillé : dès 14 ans
Adaptation animée : 2024, Maïlys Vallade et Liane-Cho Han
Univers sonore : Mari Fukuhara (à découvrir en cliquant ici)